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Gerty Dambury (tous droits réservés)

Samedi 22 mars 2020 - Confinement 5


Je m’en suis rendu compte ce matin en buvant mon café, il y a une question que je ne me poserai pas durant le mois à venir : « tiens, est-ce que les voisins sont là ? » En général, je jette un coup d’œil à leur fenêtre le samedi matin. Le volet roulant est-il encore baissé à une certaine heure ? Les fenêtres de la petite pièce qui se trouve légèrement décalée par rapport au reste de leur maison, qui doit être un bureau j’imagine, puisqu’il se trouve au-dessus de leur garage, la fenêtre étroite est-elle entrouverte ? Les fleurs ont-elles été rentrées ? Sont-elles emballées dans un plastique, signe que leur absence sera plus longue ? Et la poubelle, la toute petite poubelle, bien plus mignonne que tous ces immenses conteneurs que la mairie nous distribue, est-elle sortie ? S’ils s’absentent, la petite poubelle noire sur laquelle ils ont tracé à la peinture blanche le numéro de leur maison n’est pas appuyée contre le mur, comme réfugiée, se tassant comme si elle essayait de disparaître dans la façade. Les voisins ne réalisent certainement pas à quel point leur façon de sortir leur poubelle les révèle. Quelques numéros plus loin, d’autres voisins exhibent, en plein milieu du trottoir leur conteneur malodorant. Mes voisins d’en face sont discrets, propres, soucieux de l’espace public. D’ailleurs, c’est à l’occasion d’un nettoyage effréné du trottoir qu’elle et moi nous sommes rencontrés. À l’époque, je me sentais encore vaillante, alors je descendais mes deux étages avec seau et balai brosse, un peu de savon et je récurais le trottoir, repoussais les papiers sales dans le caniveau, arrachais quelquefois les mauvaises herbes que notre municipalité, écolo depuis peu, ne traque plus. Il est désormais d’usage que les mauvaises herbes — mon dieu, quel terme horrible, ces herbes ne sont pas mauvaises… — courent le long des trottoirs, grimpent allègrement le long des murs. Quelques rues plus loin, à la rue Barbès, devant un petit pavillon, une pancarte protège désormais ces fameuses pousses sauvages en affichant un « ne pas arracher ! ». Chez mes voisins, rien de tout cela. Les murs de la petite maison rose sont dépourvus de la moindre barbe intempestive ; elle, les arrache méticuleusement de temps à autre, avec des gants tout aussi roses que sa maison. Nous nous saluions autrefois d’un hochement de la tête, et puis nous nous sommes parlé d’un trottoir à l’autre et aujourd’hui, l’une de nous deux traverse la rue et nous papotons. Un peu trop longtemps quelquefois. Mais nos échanges sont toujours agréables. Sauf ces derniers temps. Il nous est interdit de nous rapprocher l’une de l’autre, alors il ne nous reste que les fenêtres pour nous saluer, pour vérifier que nous allons bien. Les fenêtres et les échanges par texto, chaque jour. « Et aujourd’hui, ça va ? » « Oui, un peu fatigués, mais ça va. Et vous ? » Je ne traverserai pas pour lui porter une part de flan au coco. Le monde entier finit par connaître mon flan au coco. C’est devenu mon cadeau à chacune des soirées que nous organisons entre amis. « Le flan au coco de Gerty ! » On se bat pour en rapporter chez soi. « Encore une petite lichette. » « Moi je n’en ai pas eu beaucoup ! » « Pourquoi est-ce que c’est toujours toi qui en garde la plus grosse part ? » Au point que je ne sais plus si cette dispute fait désormais partie du rituel ou si mon flan au coco est vraiment si bon ! Ces jours-ci, je n’aurai pas le droit d’en offrir à mes ami.es, à mes enfants, à ma voisine. Et elle, qui voyage pour son travail, qui me rapporte souvent des gâteaux marocains, ne sonnera pas à la porte d’entrée pour me tendre une de ces assiettes décorées à l’ancienne (tellement jolies que j’en ai gardé une, que je me promets tous les jours de lui rapporter), recouverte de ces merveilleux gâteaux marocains devant lesquels je rechigne toujours un peu : « Je t’ai déjà dit de ne pas me rapporter de gâteaux », mais que je dévore, forcément, me régalant de la présence de la fleur d’oranger qui me rappelle mon enfance en Guadeloupe. Aujourd’hui, je me contente de regarder leurs fenêtres, de vérifier qu’ils ont relevé le volet roulant, et d’attendre que vingt heures sonnent pour apercevoir ma voisine, à la fenêtre de la petite chambre, engoncée dans le noir, mais qui, comme les autres voisins à leur fenêtre, applaudit ceux qui bravent le danger chaque jour.





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