Pourquoi ai-je le sentiment que les choses sont magistralement orchestrées, que les paroles de réconciliation, les articles sur la nécessité de combattre le racisme viennent servir de contrepoint à une immobilité consciente et choisie des institutions, et même, souvent, à un recul des gouvernants et gouvernantes sur ces mêmes questions ?
Pourquoi ai-je le sentiment qu’au fond, il suffit dans certaines rédactions, de remuer l’eau boueuse, de faire remonter les boues pour les laisser retomber tranquillement à leur place, tandis que d’autres instances contribuent à en épaissir la couche que l’on préfère invisible, cachée ?
Les dernières semaines ont vu une belle mobilisation des antiracismes en France.
Je dis « belle », je ne dis pas « forte » car cette mobilisation n’a pas tout à fait atteint les niveaux enregistrés en Allemagne par exemple (environ 100 000 manifestants sur tout le territoire). Cependant, ne boudons pas notre plaisir, les organisateurs et organisatrices de la manifestation du 02 juin 2020 à Paris réunissaient un si grand nombre de manifestants et de manifestantes pour la toute première fois.
Le mouvement pour le déboulonnage des statues, à peu près dans le même temps, produisait l’effet inverse : une levée de boucliers entrecoupée ici et là par quelques soutiens très nuancés, y compris parmi les responsables Guadeloupéens ou Martiniquais d’institutions veillant à la diffusion des connaissances sur l’histoire de l’esclavage.
La France est une terre de paroles, de débat, je dirais même de bavardages. Il est permis – et encore ! – de manifester pacifiquement. Notons, au passage, qu’il est recommandé de demeurer pacifiste même sous les coups des forces de l’ordre, même lorsque, protestataire pacifiste on se retrouve devant un juge qui généralement vous condamnera pour l’exemple. Votre pacifisme aurait dû être totalement exempt de toute manifestation de protection de votre corps, en particulier de votre tête et de vos yeux, des coups des défenseurs et défenderesses de l’ordre républicain. Mais je diverge…
Donc, il est permis d’écrire de longs textes sur le racisme en France.
Cependant il est indispensable en conclusion de votre texte, de signifier, une fois de plus, qu’il ne s’agit pas de racisme systémique, mais de dérives de personnes sans morale et sans cœur. Ainsi, j’ai entendu un écrivain français dire, sur les ondes d’une radio, que le racisme était « une infirmité du cœur ». Bêlement ignorant du substrat du racisme en France, en Europe et en Amérique (Nord et Sud).
Il est d’usage, à peu près tous les cinq ans, de voir fleurir toute une série d’articles sur l’histoire de l’esclavage, écrits produits, en général dans des contextes particuliers : commémoration, inauguration de musée sur l’esclavage de l’autre côté des mers, mais surtout pas sur le territoire hexagonal !
De l’encre. De belles phrases. De beaux sentiments. De remarquables concessions. Quelques noms d’armateurs (exista-t-il des armatrices ? Certainement) ayant fait fortune dans le florissant commerce de la vente d’êtres humains.
Et dans le même temps, les déclarations des gouvernants et dirigeantes sont de deux ordres : soit l’on vante la grandeur d’âme du peuple français qui a réclamé, dans quelque petite contrée du Jura, l’abolition de l’esclavage et dans le même mouvement l’on porte au pinacle Victor Schœlcher, abolitionniste semblant avoir œuvré seul sur son promontoire, soit l’on affirme, le menton martial, que la France ne détruira rien de cet héritage splendide de statues de généraux-bouchers érigées sur les plus belles places du territoire. Et, bien entendu, mémoire sélective, il n’est quasiment jamais question de rappeler que si l’esclavage fut aboli une première fois en 1794 sous la pression des députés de Saint-Domingue, future Haïti, il fut rétabli avec violence et cruauté par le grand Napoléon en 1802. Et bien entendu, mémoire sélective, lorsque l’on nous vante les Manufactures de Colbert, il est d’usage d’omettre de parler de l’origine des moyens qui lui permirent d’accomplir ces grandes œuvres.
Qu’une voix un peu connue s’élève pour dire que, tout de même, peut-être, éventuellement, il serait temps de remettre en question ces vieilles postures, et l’auteur ou l’autrice de ces propos se fait fouetter allègrement, souvent par un collaborateur ou une collaboratrice des mêmes journaux qui, la main sur le cœur, dénonçaient l’indignité de l’esclavage ! On avait déjà remarqué que, dans la plupart de ces articles anti-esclavagistes, on n’oubliait pas de mélanger les époques et les pages d’histoire en affirmant au passage que l’esclavage ayant toujours existé, ma foi, il s’agit d’une dérive humaine qu’il convient de combattre, et d’ailleurs, aujourd’hui encore, en Mauritanie, par exemple… Toujours ceux-là ! « Les Africains. Toujours prompts à se vendre entre eux ! » Et la confusion est entretenue.
Dans le même temps, les associations et groupes qui portent le mouvement de lutte contre le racisme et les violences policières à caractère raciste sont accusées de communautarisme et d’indigénisme, au point que le gouvernement envisage de produire une loi pour les combattre, les accusant par avance de séparatisme.
Et la boucle est bouclée ! Nous avons connu le projet de loi indigne du faux français (généralement masculin) qui allait perdre la nationalité de cette grande nation toute propre et blanche (je parle de propreté mais pas seulement) en cas de faute, de crime inimaginable de la part d’un « vrai » français. C’était un « socialiste » qui rêvait de produire une telle loi.
Pourquoi ai-je le sentiment que cette danse de la lâcheté se répète année après année, décennie après décennie et qu’aucun article incendiaire dans aucun journal, ne parviendra à faire en sorte que l’histoire telle qu’elle est enseignée dans les manuels scolaires change du tout au tout, que la base même de l’éducation des petites « têtes blondes » soit bouleversée au point que ces chers enfants ne jugent plus banal le fait que les garçons et les filles noires de son enfance finissent leur vie comme éboueurs, conducteurs d’autobus ou auxiliaire de vie des personnes âgées, voire vigiles.
La société française ne veut pas changer.
Les gouvernants français, les ministres et femmes secrétaires d’état françaises ne veulent pas prendre le risque de regarder en face les fondements de leur société, mieux, l'ancienne secrétaire d'état chargée de l'égalité entre les hommes et les femmes et de la lutte contre les discrimination attribue les viols et les violences faites aux femmes aux seuls immigrés et réfugiés ! Quelle honte !
Les hommes et les femmes d’affaires françaises veulent pouvoir continuer à tirer profit des richesses de terres que leurs ancêtres ont contribué à coloniser. Car, tout de même, il faut le dire et le répéter, le racisme envers les hommes, les femmes, les enfants, les vieillards noirs est directement lié à l’histoire de l’esclavage car c’est en les déclarant bien meubles et vendables, en les déclarant « sans âme » que les esclavagistes, en premier lieu préoccupé.es par l’accumulation de biens et de capitaux, ont inscrit dans l’inconscient collectif que les hommes blancs et les femmes blanches étaient supérieures aux Noir.es naturellement inférieur.es.
Les politiciens et politiciennes françaises souffrent terriblement, quelle que soit leur couleur politique, de la remise en question de la « Nation Française », ce grand mythe dont ils et elles rêvent de prendre les rênes un jour dans l’idée de perpétuer ce que fut la grandeur de cette France dont elles et eux ont été gorgés depuis leur plus tendre enfance sur les bancs de l’école.
Et j’émets également l’idée que beaucoup parmi nos « frères » et un certain nombre de nos « sœurs » ne rêvent que d’appartenir à ce grand mythe, en foi de quoi, tout le monde n’est pas véritablement sur la brèche pour le mettre à mal. Chacun, chacune, a déjà compris le jeu qui se joue, la danse à effectuer, la limite dont il convient de doter la course de ses flèches, le costume qu’il est recommandé d’enfiler.
Gerty DAMBURY
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