Lorsque j’ai créé ce blog, je me suis engagée — auprès de moi-même — à y publier des textes utilisés une fois ou deux.
J’allais me battre contre le gaspillage d’écriture, en ces temps de lutte contre la surconsommation et pour l’éco-responsabilité.
Pourquoi est-ce que cette lutte pour la sauvegarde de la planète ne concernerait pas également cette propension à multiplier les conférences, les rencontres, les débats et les publications pour lesquelles il faut chaque fois produire un nouveau texte pour une consommation immédiate ?
La demande formulée est toujours très claire : il ne s’agit pas de reprendre un texte mais de tirer un nouveau fil, donc il convient d’en confectionner un tout neuf !
De cette manière, je me suis trouvée engagée, à une certaine période — peut-être durant un an ou deux — dans un marathon pour fournir le marché de la parole décoloniale en textes (pas toujours rémunérés) qui, finalement, se sont échoués dans un recoin de mon ordinateur.
Je m’étais donc donné pour but de procéder à un vide-grenier, un tri sélectif parmi tout ce vintage désormais inutile puisqu’une parole en remplaçant une autre, une pensée venant en shooter une autre hors des buts, ma foi, tout cela devenait de la vieille pensée, du texte pour hier car aujourd’hui d’autres objectifs se révélaient tout à coup, qui rendaient obsolètes ceux qui étaient urgents et prioritaires il y a à peine quelques mois.
Alors, dégageons, vendons, bradons !
C’est ce que je m’étais dit.
C’était également une manière de réduire ma consommation d’énergie. L’énergie de mon cerveau, de mes doigts dansant sur le clavier.
L’énergie électrique aussi… Cette petite lampe placée à la gauche de mon écran et toujours allumée pendant que je travaille, mais quelle dépense d’énergie ! jamais prise en compte lorsque l’on me fixe un tarif pour un texte — enfin, les rares fois où ça se produit ! (Merci Arnaud, merci Claire, merci… ah, le reste était militant ou patriotique !)
Et puis, je devais adopter un comportement numérique responsable en réduisant les données inutiles stockées dans mon cloud !
En recyclant mes vieux textes, je dépensais nettement moins d’énergie : pas de réflexion supplémentaire, pas de petite lampe trop longtemps allumée ; juste le temps de cliquer sur : « éditer un nouveau post », de faire un copier-coller du texte à recycler et d’ajouter une image. Voilà. Aperçu. Publier. Voir votre site. Éteindre tout, très vite ! Gain de temps, gain d’énergie.
Sans parler de la réduction des déchets : parce que tous ces textes imprimés pour lecture ou dans le but d’une future publication (qui quelquefois ne voit jamais le jour… rassurez-vous, je comprends les difficultés à trouver les fonds pour les actes du colloque machin-chose, pas grave), toutes ces ramettes de papier, mais quel gaspillage ! Au secours les forêts !
Face à tous ces textes, je devais adopter au moins deux gestes responsables pour lutter contre le gaspillage.
Tout d'abord, vérifier, à la relecture, qu’ils n’étaient pas totalement périmés.
La date de péremption d’un texte est assez difficile à déterminer. En général, c’est plutôt la réaction de la lectrice qui vous guide. Mais comment tester sa réaction ? En étant soi-même une lectrice exigeante et sans concession envers soi-même. La petite phrase que vous avez déjà répété une bonne quinzaine de fois, vous vous en rendez compte vous-même, il est temps d’en changer, même si le concept reste valable. La lectrice se lasse des répétitions. Il faut trouver du neuf, donc jeter l’ancien !
Le deuxième geste qu’il me fallait apprendre ? Cuisiner mes restes !
Il faut le savoir, en cours d’écriture, il subsiste toujours des pans de texte (dans le cloud) dont vous vous dites qu’ils sont pas mal du tout et qu’un jour viendra où vous allez pouvoir les caser. En mélangeant avec goût et discrétion quelques passages d’un texte à recycler et quelques-unes de ces pensées irremplaçables que vous avez mises au frais pour plus tard, vous parvenez à concocter un délicieux écrit prêt à consommer.
Bref, ce blog devait devenir une vaste opération de retraitement des déchets.
Mais en fait, ce n’est pas drôle du tout, de sucer les bonbons usés, fondus, réduits à la transparence du dernier petit bout qui a déjà fondu sur la langue.
Pas drôle et peut-être pas hygiénique du tout… bien que le fait d’obtenir de ma mère son tout petit bout de bonbon à la menthe déjà fondu sur SA langue soit resté dans ma mémoire comme le plus beau souvenir d’enfance, avec le fond de café sucré dans la tasse de mon père chaque matin.
Alors, en fait, chaque matin, selon l’humeur du jour, je vais me retrouver à écrire un nouveau texte. Peut-être ! Car là, je n’ai aucune obligation. Et quel bonheur !