Migrant ?
J’imagine ce cœur en mouvement
que fait battre le surgissement du désir
d’ailleurs.
J’imagine la bataille intérieure, impérieuse
entre ceci :
la contemplation de la maison commune
l’écoute plus attentive des voix d’enfants,
provision pour l’ombre
et cela :
la visée d’un inconnu rehaussé du rêve
d’un silo indivis et qui l’espère,
lui, le voyageur.
J’aime à penser à cette certitude du temps long
à ce savoir que marches au désert, traversée de solitudes
je n’y entends pas désespoir mais patience
je n’y vois pas errant mais argonaute obstiné.
J'ai tort ?
Ce n’est pas son départ qui fait de lui un migrant
mais son arrivée
son échouage sur une rive qui n’est pas à la hauteur
de son désir.
Migrant… Migrant… Migrant…
Lorsque j’entends ce mot, il est en général associé à un décompte macabre : tant de milliers de migrants se sont noyés dans la Méditerranée. À une gêne : la France ne peut pas accueillir davantage de migrants. Au désespoir de ceux qui voudraient venir à leur secours et dont les actions sont criminalisées. Je n’entends plus dans ce mot que le sentiment qu’une sorte de lie de l’humanité serait en train de remonter du fond de la bouteille et de gâter le bon vin. J’essaie de le remplir d’autres images, d’autres sentiments, d’autres sensations. Je ne sais s’il faut changer de mot pour parler de ces hommes et de ces femmes qui traversent les mers, les déserts, franchissent les montagnes pour trouver une autre terre qui les accueille mieux. J’aimerais pouvoir les nommer « nomades » et remettre à l’ordre du jour cette part de nous qui fut inventive et pleine d’espérance ; nomade tête chercheuse d’une humanité autrefois en mouvement. Mais le nomadisme aurait tout autant mauvaise presse que la migration, tant nous sommes désormais enfermés dans nos frontières fixes et dans une organisation qui se meut difficilement pour trouver d’autres modes de rapport à ce qui nous entoure.
M.... !
Édouard Glissant : « Il faut partir du lieu si l’on veut y tenir ».
Je lis cette phrase comme l’expression d’une attache forte au lieu dont on s’éloigne, temporairement. « Y tenir », peut se lire à la fois au sens de « tenir à quelque chose ou à quelqu’un ». Une version sentimentale de l'affaire... Ou alors, peut-être que ça renvoie à dire qu'il faut s’éloigner de sa terre pour continuer à « y tenir » parce que les conditions de vie y sont difficiles ou impossibles pour des raisons diverses et que les habitants d’une terre « impossible à vivre » s’en éloignent quelquefois pour que les ressources qu’ils auront accumulées ailleurs puissent être apportées comme une aide à ce pays auquel on tient. Je comprends cela comme « que faire du lieu, pour le lieu, en direction du lieu pour continuer à le chérir ? » Autre sens de « Y tenir » : pouvoir « y rester ». Partir du lieu si l’on veut y tenir, par une série d’allers-retours. Celui qui a la possibilité de s’éloigner d’une terre difficile à vivre et d’y revenir, y survit bien mieux. Mais les conditions actuelles du déplacement permettent-elles ce va-et-vient ?
C’est l’aspect abordé dans le dernier paragraphe de la définition du « sans-papiers » par la CIMADE ici : https://www.lacimade.org/faq/qu-est-qu-un-migrant/