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Bennyé an rivyè


Maman,

je me demande si en ce temps-là

tu sais quand nous partions sous le soleil

toi et moi

les paniers à la main

quand nous partions nourrir les autres

qui nous avaient laissées à la maison

moi trop petite et toi mère-cuisinière dès l’aube

toi mère brossant les palourdes

de la mangrove voisine

cuisinière des vacances des plus grands

qui nous avaient laissées à la maison

pour aller s’ébattre en rivière

je me demande si en ce temps-là

tu sais quand nous étions livreuses

de ces repas sauce pimentée et fraîche à la fois

concombres râpés au citron pressé dans mes petites mains

tu sais quand leurs éclats de rire m’étaient une morsure

quand leurs sauts dans l’eau fraîche me mortifiaient

Je me demande si lorsque

j’enviais leurs chants que nous entendions de loin

nous sous le soleil les paniers à la main

nous fuyant la brûlure des roches plates sous nos pieds nus

je me demande si en ce temps-là où nous arrivions enfin

nous suantes et tristes d’avoir manqué cette joie pure

de nos corps rafraîchis par l’eau de la rivière

je me demande si toute cette joie innocente de l’eau

ne s’avalait pas avec des goulées du poison

qui, — je ne sais pas si tu sais — mère

dort, muet, dans leurs veines

sur ordre du voisin,

celui qui ne nous saluait pas, tu sais, et que tu n’aimais pas.

Je me demande.


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