Ce mois de novembre est celui d'une succession d'anniversaires à fêter pour moi.
Parmi ces nombreuses dates, il y a l'anniversaire de mon amie Martine.
Il y avait également celui de notre ami et camarade musicien, Charlie Chomereau-Lamotte. Il nous a quittées, mais à chaque mois de novembre, nous repensons et reparlons de lui, en particulier Martine, qui n'a jamais manqué de marquer ce jour de la naissance de Charlie. Où que tu sois, grand percussionniste devant l'Éternel, compagnon de route de plusieurs de nos spectacles, de ces spectacles dont je vais parler tout à l'heure, où que tu sois, que la fête soit belle en ton honneur, cher Charlie.
Aujourd'hui, je voudrais parler de mon amie Martine.
Je voudrais évoquer 31 ans d'amitié et de vie quasi familiale — que dis-je, familiale ! — avec Martine.
Nous nous sommes connues en 1988 pour un hommage à Léon Gontran Damas qu'organisait Daniel Maximin (frère de Martine) pour marquer le dixième anniversaire de la mort du poète.
Quelques années plus tôt, en 1982, je disais des textes sur la place de Grand-Bourg de Marie-Galante. À cette époque, nous avions mené une lutte pour l'élection de Guy Tirolien qui se présentait à la municipale à Grand-Bourg. Finalement, Guy étant malade, c'est Jean Girard que le comité ( dont je ne faisais pas partie, n'étant pas Marie-Galantaise) avait choisi. Peu importe.
Cette joyeuse équipe de jeunes hommes et quelques jeunes femmes, qui d'une certaine façon me rappelaient les jeunes dirigeants de la Grenade, que j'avais connus en 1981, avant l'intervention militaire américaine — comme on le dit pour ne pas parler de coup d'état —, cette joyeuse équipe avait fait installer des haut-parleurs dans la ville et le soir, nous diffusions de la musique dans les rues de la ville, nous organisions des projections de films sur la place de l'hôtel de ville et pour le Noël de 1982, j'avais écrit un texte en créole (dont j'ai totalement perdu la trace) et à peine avais-je terminé de le dire que Daniel Maximin s'est approché de moi.
La première chose qu'il m'a dite fut : "j'ai une sœur comédienne et je suis certaine que vous vous entendriez...!"
Quelques années plus tard, il me présentait Martine et, c'est vrai, nous nous sommes entendues et plus jamais quittées.
Martine Maximin est une femme discrète. Personne ne la verrait sur facebook.
Discrète mais passionnée. Passionnée de théâtre.
Timide, mais dont la timidité disparaît lorsqu'elle se trouve sur un plateau.
Elle le dit d'ailleurs : "sur un plateau, je peux tout oser !", et disant cela, elle a les yeux qui brillent.
Et c'est bien vrai. Je l'ai vue jouer attachée sur une chaise, un sein à l'air, un pied nu et l'autre dans une chaussure rouge dont le talon dépassait les quinze centimètres. Il s'agissait de Chutes de Gregory Motton, créé par Claude Régy.
Et puis, dans Tempo, elle n'hésitait pas à paraître bien remplie, presque grosse car elle avalait , pour les besoins de la pièce, des sachets entiers de chips, avant de se lancer dans une danse de claquettes absolument époustouflante.
Tempo a d'ailleurs remporté le Molière de la Comédie musicale cette année-là.
Je l'ai beaucoup vue jouer, mais j'ai surtout beaucoup travaillé avec elle. Quasiment tous les ans. Depuis que nous nous sommes connues, nous avons monté pas mal de pièces, entre 1988 et 2019... Rabordaille, Carêmes, Trames, Des doutes et des errances, La radio des bonnes nouvelles où, d'ailleurs, j'ai voulu la revoir utiliser les claquettes. Nous avons fait quelques dizaines de lectures ici et là, La comédie de Reims, la Scène nationale de la Guadeloupe, le Centre des Arts de Pointe-à-Pitre, dans des bibliothèques, des cafés. Nous avons créé ensemble le Séna, dont elle est une des comédiennes les plus fidèles et depuis 2012, sept bonnes années, elle est notre complice, nous accueille chez elle à chaque préparation du Séna — au moins trois réunions avant chacun d'entre eux —, pour les debriefings du Séna, pour les anniversaires, pour le plaisir de manger un tinen lanmori...
Lorsque, mère indigne, j'ai décidé d'embarquer mes enfants pour Paris, sans emploi, sans argent, juste pour pouvoir vivre du théâtre et de l'écriture, elle nous a hébergés, tous les trois.
Nous avons partagé ensemble ces lundis matins de course dans le métro, jusqu'au train pour Courbevoie, où je laissais les enfants à la Maison des enfants des Arts, avant de prendre le train pour Limoges, où je terminais ma résidence d'écriture. Durant la semaine, nous étions séparé.es et nous nous retrouvions le week-end, chez Martine.
Elle préparait de ces petits déjeuners inoubliables ! Chocolat bien épais, pain au beurre... ! Elle nous faisait des pâtes alimentaires, nappées de fromage (le fameux Comté fruité !) puis grillées au four et nous étions heureux d'être là, ensemble, transis d'amour les un.es pour les autres et déjà tristes de devoir nous séparer le lundi matin !
Que de fois nous avons cousu ensemble les étiquettes sur les vêtements des enfants ! Et que de fois nous avons repassé leur trousseau pour une colonie de vacances ! Vacances éducatives ! Ils en ont encore des souvenirs émus, de ces sandwiches au fromage (qui sentait trop fort) que préparait Martine pour leur départ dans ces colonies où ils étudiaient le matin et faisaient l'après-midi du canöe, du cheval ou je ne sais quoi !
Martine et moi, nous récupérions des valises de vêtemens humides que nous devions laver avant que je ne reparte pour la Guadeloupe avec ma joyeuse troupe !
Lorsque j'ai écrit, elle a souvent été la première à m'écouter, au téléphone ! Tiens j'ai écrit cela, écoute. Cela, je l'imposais également à ma sœur Danielle qui s'inquiétait que je ne dorme pas car je la réveillais à 5h du matin pour lui lire ce que j'avais écrit dans la nuit. Quelle belle chose que la patience de l'amitié et de l'amour !
Martine est mon amie.
Quelquefois, âme inquiète que je suis, je m'écrie, en moi-même : "mais je n'ai pas d'amie !". ce qui est totalement faux, bien entendu, j'en ai tant que j'aime et qui m'aiment !
Mais dans ces moments de grand doute qui me vrillent le ventre, revient toujours cette phrase : "Martine EST ton amie".
J'ai envie de lui souhaiter un très bel anniversaire ! Mais rien de ce que je pourrais lui acheter
quoi ? Une paire de boucles d'oreilles ? Encore !
Un livre ? Mais enfin !
Une écharpe ? La dernière grattait tellement que...
Un foulard ? C'est elle qui m'en offre au retour de ses beaux voyages ! Cachemire de Syrie, s'il vous plaît.
Un repas au restaurant ? Déjà fait !
Quoi ? Mais quoi ?
Rien de tout cela ne pourrait lui dire à quel point je le lui souhaite joyeux cet anniversaire, et qu'il y en ait de très nombreux à venir.
Quelquefois, je nous ai imaginées toutes vieilles, trottinant l'une à côté de l'autre, nous prendrions notre porte-monnaie, rien de plus et nous irions voir un film, au Cinéma des Cinéastes. Art et essai ! Toujours. Ensemble, jusqu'au bout !